samedi 5 mai 2012

Compte rendu de l'article « La langue du blason »

J'avais commencé mon blog en signalant cet article sur "La langue du blason"  :
J'ai découvert […] que c'était aussi le titre d'un article de François Millepierres paru dans la revue Vie et Langage en juin 1968. Je me suis demandé ce qu'il pouvait bien contenir et ce que venait faire un article sur l'héraldique au milieu de ceux d'autres auteurs traitant, par exemple, de "L'esprit des peuples à travers leurs mots d'esprit", "Les Américains et la langue anglaise", "Tous dans la limonade !" et autres passionnants problèmes du langage… [présentation des articles sur la couverture de la revue]. 
Armes du comte de Soissons,
Vie et Langage 195, juin 1968 (©Larousse)
Voici les commentaires qu'a fait naître la lecture de cet article.

La langue du blason (article de F. Millepierres)
   L'auteur commence son article, comme il se doit, sur une explication du mot blason : "Le mot blason, qui signifie proprement "bouclier", reste d'origine incertaine". Ensuite, il explique d'où provient l'usage des armoiries, les faisant naître au cœur des batailles (ce qui est exact), mais essayant de les mettre en relation avec l'Antiquité puis avec les Barbares (ce qui est bien trop tôt pour un système d'emblèmes qui n'apparaît qu'aux alentours des années 1140-1160).
   On passe de manière abrupte des armoiries, marques individuelles, aux juges d'armes du XVIIe siècle... Ne sont pas mentionnés dans cette partie leurs prédécesseurs, les hérauts d'armes, eux qui ont su si bien faire connaître l'héraldique, la rendre indispensable, lui donner sa structure actuelle, la figeant définitivement alors même que les chevaliers cessaient d'être le corps d'élite capable de faire changer l'issue d'une bataille.
   Les juges d'armes que signale l'auteur sont ces officiers royaux dont la charge fut créée tardivement, quand l'héraldique avait quitté le terrain militaire pour rejoindre la société civile, les derniers juges d'armes ayant été nommés en vue de constituer "L'armorial général" (1696), recensement de la noblesse de France, mais surtout impôt destiné à renflouer les caisses royales.
  Commence alors l'introduction aux "signes conventionnels du blason […] et vocabulaire". L'auteur enchaîne : "Nous allons introduire nos lecteurs dans ce domaine marginal de la linguistique" (p. 304).
Fers de livre aux armes de Colbert (©Livre Luxe Book)
   Sont passés en revue la forme de l'écu, l'origine du terme "héraldique", les hérauts (enfin mentionnés), les noms des couleurs (leur étymologie est correcte), la structure de l'écu bien présentée (la mention du point honorable est superflue, car uniquement théorique). L'auteur parcourt ensuite les partitions [divisions] de l'écu, sans toutefois s'avancer trop dans l'étymologie des termes peu connus : "Burelé et coticé restent difficilement explicables.". L'auteur butte ainsi sur le pairle, l'ente... Est mentionné inutilement le darpo, terme inventé pour décrire des armes complexes, la figure nouvelle portant le nom de la seule famille concernée.
   L'auteur continue avec les charges [= les pièces], ne réussissant guère à expliquer l'origine de plusieurs mots qui lui paraissent bien obscurs, rattachant par exemple le mot flamand hamaide à l'arabe et considérant la richesse des qualificatifs concernant la croix comme "fort compliqué[e]" (p. 307).
   Il décrit aussi les meubles, mais à côté d'explications fort claires, il ignore que la rustre est une variante de la ruste et que le macle [sans accent circonflexe] ne vient pas du latin macula. Le cyclamor ou sicamor donne lieu à une digression sur l'amour courtois, domaine en fait très peu présent en héraldique.
Charles le Téméraire, duc de Bourgogne, Gand 1445
(©Lukas Art in Flanders VZW)
   Les figures sont présentées par thèmes : humain, végétaux, animaux, nature inanimée et industrie humaine. Le léopard est qualifié de "lion de type oriental". La liste des qualificatifs concernant les animaux est présentée de manière relativement correcte, émaillée cependant de quelques imprécisions : 
-- pour le lion : "lampassé quand sa queue fait un crochet en l'air" : lampassé qualifie la langue du lion quand elle est d'une couleur particulière ;
-- "Un lion rampant ne rampe pas" : la position du lion par défaut est d'être rampant, ce que l'on ne blasonne jamais ;
-- "Un massacre est constitué par deux andouillers de cerf" : ils doivent être reliés par l'os frontal, sinon ce sont des demi-ramures ;
-- "Le phénix est une aigle qui s'envole d'un bûcher" : le phénix ne s'envole pas mais fixe le soleil situé en chef à dextre ;
-- "les perroquets, dits papegaux" : le terme courant est papegai ;
-- "…si l'oiseau n'a qu'une aile on dit que c'est un demi-vol" : le demi-vol est une figure à part entière représentée sans le reste de l'oiseau ;
-- "le dauphin, qui, les yeux et la gueule fermés, est dit pâmé." : le dauphin pâmé a la gueule ouverte, mais le terme est théorique.
-- "…la baleine est fiertée…" : la fierté est un substantif utilisé quand les fanons de la baleine sont d'une couleur spécifique, comme dans "…baleine d'azur à la fierté d'argent"
-- "...signalons le créquier, prunier sauvage de Picardie, à moins qu'il ne s'agisse, selon Littré, du chandelier à sept branches. On désigne dans le Nord la prunelle sous le nom de crèque. C'était l'emblème de la maison des Créquy, car le calembour joue un rôle important -- et encombrant -- dans le vocabulaire héraldique." : le créquier est bien mal traité.
-- "Un château en ruine est dit masure" : "masure" n'existe pas en héraldique, par contre masuré qualifie une construction en ruine. [erreur typographique ?]
-- "…la badelaire" : nom masculin, c'est donc un badelaire.

   En conclusion, après avoir passé en revue le lexique du blason, l'auteur regrette de n'en avoir pas étudié la syntaxe et considère que, même rarement utilisée, la langue du blason peut, éventuellement, apporter quelque chose à la langue courante.
   L'article est l'occasion pour l'auteur de montrer son érudition, sa spécialité le portant plus vers l'Antiquité que vers le Moyen Âge. Des lacunes subsistent dues à la spécificité de la langue du blason. L'Armorial de d'Hozier est longuement étudié avec, entre autres intérêts, les réactions des écrivains contemporains. Les illustrations sont bien choisies, présentant les armes du comte de Soissons, de Colbert et du duc de Bourgogne Charles le Téméraire (panneau armorié du chapitre de la Toison d'Or de Gand en 1445).

Millepierres (François), 1968, La langue du blason, Vie et Langage 195 : 302-310.

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